mardi 10 avril 2012

Les ruses des grandes marques pour paraître moins chères

©REA
La baisse du pouvoir d’achat est devenue un sujet ultrasensible. Les marques tentent donc d’attirer autant le chaland… sans rogner leurs prix. Zoom sur leurs méthodes.
Amis commerçants, n’ayez pas peur d’afficher vos prix en gros sur les étiquettes. Même s’ils sont un peu corsés, le client appréciera. C’est du moins les conclusions de l’étude menée par Marianela Fornerino, professeur de marketing à l’école de management de Grenoble. «Nous avons soumis des publicités pour des voitures à un panel de 150 personnes, raconte la chercheuse. Si les marques affichent clairement un prix, les consommateurs ont spontanément l’impression qu’il est plus intéressant que le tarif catalogue, même si ce n’est pas le cas.» Trivialement, plus c’est gros, plus ça passe !
Le consommateur a beau défendre bec et ongles son pouvoir d’achat et traquer la bonne affaire, il n’en demeure pas moins manipulable. «La perception d’un prix est pour un tiers seulement fondée sur des critères objectifs, précise Yves Marin, consultant chez Kurt Salmon. Le reste est lié à des éléments subjectifs comme la couleur du packaging ou le positionnement en rayon.» Les industriels et les distributeurs le savent très bien et n’hésitent pas à jouer avec les a priori et les habitudes de consommation pour se donner des airs bon marché.
Une chaîne de supermarchés, par exemple, n’a pas besoin d’être ultracompétitive sur tous les produits pour attirer le chaland. L’important est qu’elle soit discount sur les références phares. «Le client ne connaît les prix précis que de quelques références dont il ne peut se passer, comme les grandes marques (Coca, Nutella…)ou les couches-culottes et les goûters pour enfant», explique Cédric Ducrocq, du cabinet Dia-Mart. Si l’enseigne garde le même indice prix moyen, mais baisse les étiquettes sur ces produits-là, elle aura l’air globalement moins chère.» Encore faut-il bien le montrer, en plaçant les produits stratégiques en tête de gondole ou au beau milieu du rayon, dans une zone de 80 centimètres entre la hanche et le regard du client.
Dans les enseignes spécialisées, la méthode pour embrouiller le client est assez comparable. Ikea a beau être globalement très abordable, tout n’y est pas bon marché. D’un côté il met en vedette la petite table d’appoint à 6,90 euros, de l’autre il fait la culbute sur un petit objet de décoration. Résultat ? «Encore en 2011, la chaîne fait partie des distributeurs jugés les plus attractifs en termes de prix», confie Guy-Noël Chatelin, de OC & C Strategy.
Chaque année, ce cabinet évalue en effet «l’image-prix» des enseignes, c’est-à-dire la perception qu’ont les consommateurs des prix pratiqués. Bien sûr, cette étude le montre, il y a une corrélation entre l’image et la réalité sur le long terme : un distributeur ne peut donc pas duper indéfiniment le client. Mais un commerçant peut habilement l’influencer. Cdiscount abuse sur son site des couleurs tape-à-l’œil, traditionnellement utilisées pour les promotions. Ses tarifs ne sont pourtant pas plus compétitifs que ceux d’Amazon. Entre simple astuce et vraie arnaque, voici les techniques les plus utilisées…
Claire Bader
Sur Internet, adopter les couleurs criardes des prospectus
En rouge et jaune pétard, la page d’accueil de Cdiscount reprend les tons traditionnels d’une campagne de promotion. «Dans l’esprit du consommateur, avec le bleu profond et le blanc, ils sont associés aux prix bas», précise le consultant Franck Rosenthal. Et ça marche ! A étiquettes comparables, le site Web du groupe Casino bénéficie d’une meilleure image-prix que le sobre Amazon (OC & C Strategy).
Valoriser ses produits à petits prix
«Un produit vous semble d’autant moins cher qu’il vous offre beaucoup, note Franck Rosenthal, consultant. Une enseigne a donc intérêt à vous faire savoir que ses entrées de gamme, malgré leur prix bas, sont géniales.» Exemple type : Décathlon. Pour valoriser ses «produits bleus» (sans marque), le distributeur détaille toutes leurs fonctionnalités et leurs avantages techniques.
Adopter un format qui rassure la ménagère
On pense qu’un paquet familial sera obligatoirement meilleur marché, au kilo, qu’une dose individuelle. «Erreur», alerte Charles Pernin, de l’association CLCV. Et de citer un relevé de prix réalisé dans un Leclerc du Pas-de-Calais : le paquet de Chocapic grand format était 17% plus cher au kilo que le moyen. «Sur les formats atypiques, les hypers s’autorisent plus de marges, analyse Florent Vacheret, de “Linéaires”. D’où ces absurdités.»
Appâter le client avec un fouillis savamment organisé
Cas particulier dans le textile, Zara a longtemps semblé beaucoup moins cher qu’il ne l’est. «L’enseigne ne fait aucune pub, mais l’aménagement de ses magasins favorise cette image bon marché, note Guy-Noël Chatelin, de OC & C Strategy.» L’astuce ? Une profusion de quelques produits basiques peu chers entassés sur des tables et signalés par des affiches inratables.
Ne pas promettre, mais prouver ses prix bas
Le client ne croit plus aux belles paroles, seul l’engagement fait mouche. Carrefour a fini par le comprendre. Dans une pub, il compare son ticket de caisse à celui de ses concurrents. Dans une autre, il promet de rembourser le client qui trouverait moins cher ailleurs… dans une gamme de 500 produits. Bilan de l’opération : l’enseigne paraît plus attractive et rien ne l’empêche de «se refaire» sur d’autres références.
Adopter des matériaux de déco passe-partout
Dans une boutique trop confortable, le client ne pense pas pouvoir faire de bonnes affaires. A l’inverse, dans un magasin tristounet, il ne rentre pas. Pour les «merchandiseurs», il s’agit donc de trouver la décoration idéale du juste milieu. Mission accomplie chez Kiabi. Au sol, ni parquet trop chic, ni carrelage trop cheap, un PVC neutre. Quant aux éclairages, ils combinent subtilement la lumière blafarde de néons de supermarché aux halos plus chaleureux de spots directionnels.
Baisser le prix de l’étiquette, pas celui du kilo
«Un des spécialistes du genre, c’est Nestlé», révèle Olivier Dauvers, expert en distribution. Quand sa boîte de lait Guiguoz est passée de 900 à 800 grammes, le prix sur l’étiquette a bien sûr baissé, mais pas toujours à due proportion. Du coup, la poudre apparaît dans certains magasins moins chère qu’avant, alors que son prix au kilo a augmenté. Nestlé conteste toutefois qu’il y ait une hausse au niveau national et justifie la baisse du grammage par une nouvelle dosette plus hygiénique, mais plus encombrante.
Au supermarché, cotoyer les MDD dans les rayons
Cela semble paradoxal, mais se placer près de la marque de distributeur (MDD) permet à un géant national d’avoir l’air moins cher. «Si le consommateur a face à lui une référence à 1,25 euro et une autre à 1,75, il verra une zone globale autour de 1,50 euro», explique Yves Marin, de Kurt Salmon. Pour que l’effet fonctionne, l’écart de prix doit rester raisonnable. Une stratégie parfaite pour un produit comme la purée Mousline.
Eloigner sa pub télé de celles des produits de luxe
Vanter ses prix bas après un spot Chanel, ça passe mal. «Un produit de luxe joue sur l’émotionnel, quand un produit de grande consommation tient un discours rationnel», résume Marianela Fornerino. Résultat ? «Des groupes comme Procter & Gamble (Mr. Propre, Always, Gillette…) envisagent une diffusion groupée de leurs spots», raconte Yves Marin, de Kurt Salmon.
Se donner des airs modestes avec l’emballage
L’emballage influe sur l’impression de cherté. Pour rassurer le consommateur, mieux vaut un packaging sobre, préférer par exemple le carton au verre. Comme Cristaline, qui, afin de renforcer sa réputation d’eau bon marché, propose donc une bouteille beaucoup plus fragile que celles d’Evian ou de Volvic. «Bien sûr, limiter l’épaisseur plastique lui permet déjà d’être moins chère, mais en plus cela soutient sa bonne image-prix», analyse l’expert Olivier Dauvers.
Source: http://www.capital.fr/enquetes/strategie/les-ruses-des-grandes-marques-pour-paraitre-moins-cheres-711222

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